Il est 15h à Tokyo lorsqu’Amy Smith touche le sol japonais. La fatigue fait pendre mollement ses bras, l’un tirant une petite valise rouge. Ses cheveux blonds, relevé en arrière par un élastique, se font doucement balancer par la brise de cette première journée nippone. Pourtant, malgré l’épuisement, il reste toujours cette petite étincelle de malice et de bonheur dans ses yeux verts.
Si cette jeune américaine se trouve aujourd’hui à l’autre bout du globe, c’est pour passer quelques mois au Japon dans une famille d’accueil. C’était chez une dame âgée d’une soixantaine d’années avec son fils de 30 ans, appelé Satoru ; la famille Ohno. C’était plutôt commun comme nom dans ce pays, alors cela ne l’étonna pas, et elle n’y fit pas spécialement attention en acceptant. Le simple fait de pouvoir partir la faisait rêver.
Amy prit le bus en direction de la maison des Ohno, particulièrement impatiente de voir la tête de ses habitants. Elle allait parfaire son japonais en un rien de temps, et sûrement découvrir une autre facette de ce pays, ce pays qu’elle aimait tellement.


Elle se tient devant une porte, le cœur battant, le sourire aux lèvres. Elle ne sait pas vraiment à quoi s’attendre, mais la perspective de découvrir un autre monde la rend toute excitée. Elle appuie sur la sonnette. On vient lui ouvrir immédiatement.
La personne qui se trouve là, devant elle, c’est une presque grand-mère. Assez petite de taille, replète, un immense sourire aux lèvres. Ses cheveux grisonnants sont relevés soigneusement en chignon. Elle porte un tablier, comme ceux d’avant, avec de grands carreaux de couleur délavée. Dans sa main, une cuillère en bois couverte d’une sauce cuivrée. Malgré quelques rides, elle ne semble pas avoir la soixantaine.

_ Oh, bonjour ! Tu dois être la petite américaine ! Amy-chan, c’est ça ? Viens, entre, je t’en prie.

Ohno-san s’écarte de l’entrebâillement et laisse passer la jeune fille, l’incitant à s’avancer dans le petit couloir.

_ Merci de m’accueillir chez vous ! s’exclame l’américaine.
_ Ce n’est rien. C’est la première fois pour nous. J’avais peur de le faire avant, à cause du travail de mon fils.
_ Que fait-il ?
_ Il t’expliquera ça bien mieux que moi. En attendant qu’il rentre, va t’installer dans ta chambre. Elle est à l’étage, fit la vieille dame en retournant dans sa cuisine, pointant le plafond avec sa cuillère.

Amy gravit les escaliers difficilement, portant sa valise à bout de bras. Lorsqu’elle arrive en haut, elle entre dans la première pièce qu’elle voit. Le lit est dans un coin, la couette et les coussins habillés de rose pâle. Les murs, blancs cassés, et le sol, un simple parquet, rendent la chambre très neutre. Amy trouve une armoire où ranger ses vêtements ainsi qu’un bureau où poser ses affaires. Elle tire les rideaux d’un coup sec et ouvre sa fenêtre ; la vue donne sur un parc rempli d’enfants, qui se courent après ; plus loin, on voit des immeubles. La jeune fille se laisse tomber sur son lit, écoutant les rires qui montent jusqu’à sa chambre en escaladant la façade, apportant avec eux une petite dose de douceur.


Au bout de dix minutes à observer le plafond, Amy s’assied sur le matelas, détache ses cheveux, secoue un bon coup sa tête et décide enfin de vraiment tout installer. La valise ouverte sur le sol, elle prend et dépose sur les étagères, petit à petit, ses pulls, puis ses jeans. Le reste suit rapidement. Chaque objet prend peu à peu sa place dans la chambre, qui devient plus remplie. Quelques images ou posters accrochés aux murs, des magazines sur le bureau qui semble désordonné à présent. Puis elle s’accroupie et sort de son Eastpak rouge un livre, une petite radio et un cadre photo qu’elle entrepose sur la table de nuit en bois à côté de son lit. La photo est prise dans une forêt. Dessus, on y voit une jeune femme serre contre elle une enfant. Toutes les deux ont les mêmes yeux verts, et les mêmes cheveux d’un blond lumineux.
Les doigts d’Amy frôlent le verre du cadre. Avec un sourire timide, la jeune fille souffle :

_ Tu vois Mam, j’y suis enfin. J’ai réalisé mon rêve. Regarde-moi !

L’américaine se redresse et se dirige dans le couloir pour aller se mouiller le visage. En sortant de sa chambre, elle entant un déclic dans l’entrée. Curieuse de voir le visage de l’homme avec qui elle allait habiter, elle se penche dans les escaliers, pinçant les lèvres d’excitation. Elle voit alors la porte s’ouvrir et entend une voix fatiguée marmonner :

_ Tadaima Kachan.
_ Okaeri !

Au début, la jeune fille n’aperçoit que ses cheveux en bataille. Puis elle fait plus attention à sa voix :

_ Comment était le boulot aujourd’hui ?
_ On a pas arrêté. J’en peux plus. Heureusement que c’est le week-end.

Cette voix, Amy la connait. Ça n’est pas un son nouveau, pas autant que celui de Ohno-san. Non, là, c’est différent.
Puis le jeune homme lève la tête vers la jeune fille, dévoilant son visage étant resté inconnu. Des pommettes rebondies, un sourire adorable et bienveillant, et pourtant si simple, un regard doux, des cheveux partant dans tous les sens et cette aura de calme et d’aise qui l’entoure.

_ Oh, tu dois être l’américaine ! Je suis nul en anglais, désolé.

Il rit doucement en se frottant la tête, amusé de sa propre bêtise. Les yeux grand ouverts, Amy se précipite dans sa chambre, s’enferme et s’adosse à sa porte, glissant le long du bois. À toute vitesse, son esprit fait défiler des tonnes d’information dans sa tête, pour trouver une explication. La jeune fille avait l’habitude de réfléchir très vite lorsqu’un problème quelconque apparaissait dans sa vie. Et cette situation est tout sauf normale !
Une étincelle dans ses yeux, et Amy fonce sur son bureau, où les papiers d’information de la famille d’accueil sont posés. Elle fouille, éparpille les documents sur le sol, puis trouve enfin ce qu’elle cherche.

_ Oh non…

Elle réalise enfin sa bêtise : car oui, au Japon, les noms peuvent s’écrire de plusieurs façons, ou une seule écriture peut se dire de différentes manières. C’est le deuxième cas cette fois, et Amy n’avait pas fait attention. Son esprit aurait-il bloqué lui-même l’information pour lui éviter de refuser le voyage ? Le nom du jeune homme se lit Satoru, mais pas seulement.

_ Comment j’ai pu me retrouver là ?

Relisant encore la feuille de renseignement, cherchant toujours une explication, implorant son cerveau de l’aider, elle n’entend pas le bruit des escaliers craquer dans son dos.


Sur le pas de la porte, le jeune homme regarde attentivement la jeune fille, la tête penchée sur le côté. Il l’entend grommeler des mots en anglais, et évidemment, il ne comprend rien. Malgré ça, elle donne l’impression d’être paniquée. Ce n’est pas de ça faute, il le sait, mais voir une personne comme ça suffit à l’inquiéter.

_ Est-ce que ça va ?

Elle sursaute, serrant contre elle des papiers. Elle se retourne timidement, et à la vue du jeune homme, elle murmure :

_ Ohno… Ohno… Satoshi.
_ Oui c’est moi, sourit-il.

L’américaine le regarde sans bouger, complètement pétrifiée, soufflant encore le nom du jeune homme. Puis d’un coup, Satoshi n’a même pas le temps de réagir, elle se jette sur lui, les bras tendus en avant, la tête tournée vers le sol, comme pour ne pas croiser son regard, l’éjectant de sa chambre. Il manque de trébucher, se rattrapant de justesse sur le cadre en bois de l’entrée.


Amy claque la porte, verrouille la serrure et s’immobilise, debout, au centre de la pièce. Elle met un certain moment à se remettre de ses émotions. Puis elle comprend vite sa bêtise. Elle fixe ses mains, les yeux s’agrandissant de plus en plus.

_ Mais qu’est-ce que j’ai fait ? Oh non…

Elle s’accroupit, cachant son visage entre ses doigts. Elle se sent complètement ridicule d’avoir réagi d’une telle manière devant une personne qu’elle admire tellement ! Elle tourne les yeux vers l’un des murs où se trouve punaisé le poster d’un groupe de cinq jeunes hommes ; Arashi.